À l'occasion d'une commande pour l'exposition collective Rue d'Alger à l'Institut Culturel Italien de Marseille, Emma Grosbois et Agathe Rosa décident de travailler à partir des documents conservés aux Archives Municipales de Marseille sur la construction de deux monuments situés sur la Corniche Kennedy et liés à l'histoire coloniale de la France : le Monument aux Armées d'Afrique et des Terres Lointaines (1927) et le Mémorial des Rapatriés d'Algérie (1971). Si dans Rue d'Alger elles proposaient une série de pièces conçues à partir des matériaux trouvés dans les archives, 20 tonne de bronze, 250 de granit s'articule autour des images et documents que les artistes ont rassemblés pendant leur recherches. Par un travail de prélèvement, découpe et montage, Emma Grosbois et Agathe Rosa nous invitent à revisiter l'archive dans une exposition qui questionne l'univocité des points de vue sur l'histoire coloniale et le rôle des monuments dans la fabrication de l'espace urbain.
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Le Mémorial des Rapatriés d'Algérie
Suite à l'indépendance de l'Algérie, le 5 juillet 1962, 650.000 personnes quittent ce pays pour rejoindre la France. Pieds-noirs et harkis sont alors appelés les « rapatriés ». Ils sont 400.000 à débarquer à Marseille. Huit ans plus tard, et pour répondre aux souhaits des membres de la communauté pied-noir, la mairie de Marseille commande à l'artiste César une sculpture commémorative.
Le monument, une immense pale de propulseur maritime en bronze, fut inauguré le 20 janvier 1971 sur la Corniche par Gaston Deferre et en présence de 3.000 personnes. Le discours inaugural du maire, comme la plaque qui accompagne le monument, insistent sur le déracinement des français d'Algérie et sur la politique d'accueil de Marseille.
L'oeuvre, comme les discours qui l'entourent, sont adressés par la municipalité aux rapatriés, proposant à la fois reconnaissance des épreuves endurées et intégration dans un récit plus vaste, celui de Marseille terre d'accueil. Dans ces discours, la colonisation est soit passée sous silence, soit présentée sous un jour avantageux, les pieds-noirs étants présentés comme des « pionniers qui, pendant des années, ont fait flotter le drapeau de notre patrie sur des terres lointaines. » (discours inaugural de Gaston Deferre).
Le Monument aux Armées d'Afrique et des Terres Lointaines
Egalement situé sur la Corniche, le Monument aux Armées d'Afrique et des Terres Lointaines a été commandé par l’État , en 1922, à l'architecte Gaston Caste et au sculpteur Antoin Sartorio. Ce monument, érigé à la mémoire des soldats de l'armée coloniale française morts lors de la bataille des Dardanelles, est une arche massive flanquée de deux statues et au centre de laquelle triomphe une Victoire en bronze.
Financé grâce à une souscription nationale organisée à l'initiative de la Fédération nationale des Poilus d'Orient, il est inauguré en grande pompe, le 24 avril 1927, par le président de la République.
Contrairement au Mémorial des Rapatriés d'Algérie, il s'agit donc d'un monument national, et dont la création avait d'ailleurs été retardée par une polémique : certains avaient en effet pu craindre qu'un monument à la gloire des soldats inconnus d'Orient ne portent atteinte à l'unité commémorative contenue dans le monument au soldat inconnu érigé à Paris.
Le monument est accompagné de plusieurs plaques. Sur l'une d'entre elles, on peut lire : « Trois siècles de présence française ont scellé par le sang versé un pacte solennel entre la France et les peuples de l'union d'Indochine. »
Les deux fonds d'archives
Toutes les images présentées dans cette exposition sont tirées de deux fonds d'archives conservés aux Archives Municipales de Marseille.
Les photographies de la construction et de l'inauguration du Monument aux Rapatriés sont intégrés aux Fonds Gaston Deferre, et enregistrées sous la côte 570W152. Une grande partie de ces photographies ont été prises par Jean Fréga.
Les photographies du Monument aux Armées d'Afrique et des Terres Lointaines font partie d'un ensemble photographique donné par un particulier en 2006. Il a été constitué par Marius Segard, granitier à Saulxure-sur-Moseloot dans les Vosges, qui a participé activement à la construction de ce monument. Dans la notice introductive qui présente cet ensemble, on peut lire que « d'après la tradition orale de la famille Segard, l'entreprise vosgienne aurait mobilisé 40 ouvriers pendant 4 ans », et que le granit utilisé venait de Corse par bateau.